Ce matin, avec leur enseignante d'ESC, Elise Encelle, la classe de 3e prend le bus devant le lycée pour se rendre à la Consiergerie de la Motte Servolex où les attendent Eve, responsable du service culturel de la Motte-Servolex et Pauline, sa collègue au service culturel, pour découvrir l’exposition de Noureddine Benhamed « Traversée ».
La Conciergerie est un espace dédié à l'art contemporain. Elle accueille 4 expositions temporaires par an, et des résidences qui permettent aux artistes qui le désirent, d’avoir carte-blanche sur le lieu, pour réaliser une exposition in-situ, comme l’a fait Noureddine que l’on découvre aujourd’hui.
Noureddine est un artiste, touche à tout, peintre, cinéaste, photographe et passionné de littérature. D’origine algérienne, un pays qu’il a quitté il y a quatre ans pour pouvoir développer sa pratique artistique librement, ses projets réagissent à des événements et parlent d’actualité. Pour cette exposition, l’artiste indique qu’il n’avait pas de ligne directrice, pas de thématiques ou de technique privilégiée et pourtant…
… alors qu’elle aurait dû débuter en décembre 2020, son ouverture est repoussée suite au documentaire de Mathieu Rigouste « Un seul héros le peuple », vient ensuite les fermetures liées au Covid…
Avant d’aller plus loin, Pauline nous invite à faire le tour de l’exposition avec une idée en tête : mener une enquête sur le sens donné par l’artiste, à cette exposition « Traversée ». Elle nous invite à regarder les œuvres et à lire les textes des cartels, pour pouvoir partager ses découvertes avec les autres et sa lecture d’une œuvre. Les élèves s’éparpillent dans la salle. Les uns, curieux, montent voir ce qui se passe à l’étage, les autres regardent avec curiosité et vigilance, les peintures murales, les montages et le kaléidoscope de photos coupées.
A notre retour, Eve vient compléter quelques informations pour nous donner quelques clés de compréhension supplémentaire. Elle nous explique les récents événements qui ont marqué l’Algérie, ancienne colonie française jusqu’en 1960 qui a connu une nouvelle révolution en février 2019 : l’hirak. Eve demande aux jeunes ce qu’ils savent des révolutions. Une élève répond « C’est quand on ne peut plus rien faire ». Et en effet, après 60 ans de dictature, le peuple a décidé de descendre dans la rue et de marcher en silence. Pas une pierre donnée par l’armée n’a été lancée ni même touchée par le peuple pacifique.
… Finalement, l’installation de l’exposition est repoussée au 25 février 2021, date anniversaire des deux ans de l’hirak, et ouverte au public plus récemment, en mai.
Derrière, un tableau représente un tunnel de spirales, avec trois femmes dans leur plus simple appareil, nues, sans protection aucune. L’une porte toute la charge, l’autre est accroupie dans le creux. Seule la troisième femme représentée en rose est libre. Elle danse sur la boucle de la vie. Dans le cartel sont reprises les paroles de Tahar Djaout, écrivain algérien, « Si tu parles tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs. ».
Dans ce hall, plusieurs œuvres nous interpellent par rapport au titre : les barques exposées, dans lesquelles s’embarquent les migrants au péril de leur vie, les tableaux coexistent et se répondent : celui d’une petite fille sans visage et d’une femme à l’opposé de la pièce marquent la traversée du temps, des âges, la boucle infinie du ruban de Möbius et la carte et ses chemins, ses détours montrent qu’une traversée n’est jamais linéaire, qu’elle se fait au gré des joies et des difficultés rencontrées en chemin.
On comprend mieux qu’au centre de cette salle, trône un simple verre d’eau, sur un socle couvert du drapé d’une bâche plastique. Après tout, l’eau, c’est l’essentiel, c’est la vie. Pour tout bon musulman, offrir l’aumône passe par donner de l’eau aux voyageurs, à celui qui traverse.
A l’étage, Pauline nous montre le discours du dictateur. Les jeunes observent que ce qui semble être le peuple, parait plus probablement être des soldats, tous semblables, prisonniers des paroles de la seule personne qui a le micro et parle. Quelques pas plus loin, des discours sont repris dans des cadres ou plus précisément barrés, lorsqu’ils sont hors cadres, non acceptés ou qu’on n’a pas le droit de les dire – ce qui nous rappelle la censure - et honoré d’or, lorsqu’il entre dans le cadre, le texte officiel.
Pour terminer cette visite, nous observons le détournement du drapeau algérien. Pour comprendre cette série, Pauline nous donne la signification du drapeau national. Le vert et le blanc évoquent les premières bannières de l’islam du temps de Mahomet, le vert, la terre agricole, le blanc, la paix. Le croissant de lune et l’étoile à 5 branches sont des symboles de la religion musulmane. Chaque branche représente un des 5 piliers de l’Islam auxquels doit se plier les musulmans : l'existence et la foi en un Dieu et de la prophétie de Mahomet, les cinq prières quotidiennes, l'aumône aux nécessiteux, le jeûne du ramadan et le pèlerinage à La Mecque. Spontanément, Noureddine dessine une dizaine de drapeaux qui s’expriment : espoir, crainte, colère, déception… dans son travail d’artiste, il détourne les symboles et les questionne.
Avant de quitter l’exposition, Eve propose aux élèves de dessiner leur drapeau intérieur, celui qui les représente, avec leurs propres symboliques. Chacun se pose autour de l’exposition et crayonne son emblème. Nous n’aurons malheureusement pas le temps de les présenter à l’ensemble de la classe car il est déjà l’heure de nous quitter.
Eve nous indique que l’artiste sera en présence samedi 12 juin, à 18h30, pour le vernissage de l’exposition. Une exposition à découvrir pour tous ceux qui savent regarder, écouter et vivre.