Le modèle agricole breton

Nicolas Legendre, journaliste au Monde, était de passage à Chambéry pour parler de son enquête à l'origine de son ouvrage «Silence dans les champs», une plongée inédite dans «l’envers du miracle breton».

le Jeudi 07 mars 2024

asEQPxzZcjEjeimeY asEQPxzZcjEjeimeY  

 

Ce jeudi 7 mars, les étudiants en BTS horticulture étaient invités avec d'autres classes du Lycée Monge et des Bac Pro du Lycée Reinach par le cercle Condorcet et l’UFC-que choisir de Chambéry, à assister à une conférence sur le modèle agroalimentaire breton, animé par le journaliste Nicolas Legendre, prix Albert-Londres du livre 2023.

 

Le thème de cette rencontre portait sur l'enquête menée par le journaliste, fils d'éleveurs bretons d'une petite exploitation laitière de 25 vaches et 35 hectares, pendant plus de sept ans, auprès de 300 témoins. Au cours de cet échange, il nous a livré son analyse du système agroalimentaire breton avec ses conséquences sociales et environnementales.

Il faut dire que la Bretagne est la 1ère région agricole de France. Alors que seuls 3,3 millions d'habitants résident sur ce territoire, la production peut nourrir 22 millions de personnes. On ne le sait pas toujours mais la plupart des aliments que l'on consomme, via notre consommation industrielle notamment : tomates, chips, lardons, emmental, viennent de là ! On est tous concerné.

 

Depuis les années 1960, le système agro-industriel fait naître des empires transnationaux et des baronnies rurales. Il crée des usines et des emplois. Il entraîne la disparition progressive des paysans, l’asservissement de nombreux salariés de l’agroalimentaire, l’altération des écosystèmes et la généralisation de la nourriture en boîte”, explique Nicolas Legendre dans son livre.

 

Loin de renier ses origines, Nicolas reconnait qu'il a passé une enfance heureuse et libre, entourée d'animaux et de machines qui le faisaient rêver : remorques, ensileuses, tracteurs... Mais il sentait déjà les difficultés dues aux rapports de force dont souffraient ses parents avec d'autres agriculteurs, le problème des terres, la concurrence, les tensions des prix fixés par la laiterie... Le malaise agricole, les suicides, les cancers, un métier exigeant et chronophage, un métier pointé du doigt pour être la cause de toutes les pollutions et son paradoxe, de par sa nécessité et l'amour voué des français envers l'agriculture, ont eu raison de lui et de sa fratrie, pour ne pas reprendre la ferme.

 

Dans son enquête, Nicolas est remonté aux origines du Big Bang agricole, dans les années 50, c'est vrai pour la Bretagne, mais pas seulement...

Avant la guerre, l'agriculture française était faite de petites fermes en polyculture, polyélevage. Les paysans vendaient uniquement ce qu'ils avaient en trop. Après la guerre, la France et l'Europe sont dévastées. L'autonomie alimentaire est à terre. Les tickets de rationnement seront d'ailleurs encore distribués jusqu'en 1948. Il faut un plan de guerre pour nourrir la France et compenser le départ des paysans vers la ville et les usines. L'agriculture se rationnalise dans une logique industrielle. L'objectif est de produire plus avec moins de monde !

Dans ce même temps, c'est l'avénement des 30 Glorieuses. Les français changent leurs habitudes alimentaires. Apparaissent les plats préparés, la viande s'invite plus souvent à table, la consommation est multipliée par deux et la part du budget alimentaire diminue au profit du logement, des loisirs, des vêtements puis du numérique. Il faut changer la donne.

La production double en France, au détriment du paysage. C'est le remembrement : bocages, haies, petites parcelles disparaissent au profit de champs à perte de vue, de tracteurs, de l'usage de pesticides, d'engrais de synthèse, de grandes fermes. En parallèle, l'élevage manque de protéine. Les éleveurs ont besoin de soja importé du Brésil. Pour nourrir ses élèvages, la Bretagne a besoin de 3/4 de surface en plus. Elle trouve ses terres en Amazonie !

 

Le productivisme a ses vertus, cela nourrit, entraine le commerce international, créé de l'activité économique.

Les inconvénients sont pour l'homme, leur santé, leur capacité à être autonome, les animaux et la biodiversité, l'écosystème et la qualité de l'eau.

Aujourd'hui, les fermes font plutôt 400 hectares, les robots et les machines ont remplacé les hommes et la technologie n'a pas tenu ses promesses, la vie d'agriculteur reste difficile et injustement rétribuée. Entre 2010 et 2020, il y a 25% de ferme en moins, l'âge de nos agriculteurs est en moyenne de 49 à 50 ans, nous avons un problème de renouvellement...

 

Depuis 50 ans, les militants de gauche n'ont pas été écoutés. Ces 20 dernières années, leur parole est de plus en plus menacée... On pense à Inès Léraud qui a mené l'enquête sur les Algues Vertes en Bretagne de 2016 à 2018, à Morgane Large, auteure d'un documentaire sur les dérives du monde agroalimentaire breton et victime de plusieurs sabotages...

Depuis les années 2000, la perte de la biodiversité s'impose. Malgré les alertes, le vieux modèle ne s'est pas transformé. L'agriculture est en guerre contre le vivant, contre ses agriculteurs qui connaissent de fortes pressions, contre le foncier. Beaucoup de métiers se sont enrichis sur le dos de l'agriculture et pas seulement de grands propriétaires terriens : la famille Roulier, Besnier (Lactalis), Bigard (viande), BSF...

 

La bonne nouvelle, c'est que pour Nicolas Legendre, on sait maintenant que l'on pourrait faire autrement, avec des vaches qui vivent plus longtemps, en émettant moins de gaz à effet de serre (l'agriculture compte pour 30% des émissions de GES). Pour transformer le modèle, il faudrait une rupture, une accident lié à l'usage des pesticides, un été à 40°, que les consommateurs soient plus acteurs... Qu'ils acceptent de manger moins de viande et plus de protéines végétales, qu'ils gaspillent moins pour que le modèle change. Si 4 millions de personnes venaient manifester à Bruxelles pour faire changer les règles, alors peut-être des transformations pourraient opérer !

 

A l'issue de son exposé, un temps d'échange a permis aux jeunes de poser leurs questions.

Le soir même, une nouvelle conférence avait lieu, en présence de Cédric Laboret, Président Chambre d'Agriculture Savoie-Mont-Blanc. Cédric Laboret expliquait qu'en Savoie, 1 maraîcher sur 2 ne tenait pas plus de 5 ans. Ici, les éleveurs s'en sortent mieux car leur lait se vend bien et est mieux valorisé.