Je voudrais ce matin, en ce temps pascal, effectuer une lecture pédagogique du récit bien connu des "disciples d’Emmaüs", avec en tête cette question : "Comment Jésus s’y prend pour accompagner deux jeunes en déprime ?"
Après la perte brutale de leur ami, sur qui ils avaient tout misé, Cléophas et son ami, ou peut-être sa femme (on ne connaît pas l’identité du deuxième disciple), prennent la route. Ils fuient les murs de Jérusalem et ses habitants, qui leur rappellent tant de souvenirs qu’ils veulent oublier. En pleine déprime, ils ne voient qu’une solution : partir loin.
Mais voici que Jésus surgit sur la route sous les traits de l’inconnu. Et ce qui est étrange, c’est qu’il ne leur dit pas d’emblée "Stop ! Demi-tour !" Et pourtant Il sait bien que l’avenir se joue à Jérusalem, et qu’Emmaüs est une impasse. Non, il commence par les accompagner dans le mauvais sens.
Je songe à ces parents de jeunes en difficultés qui rêveraient qu’à la première rencontre avec l’éducateur, leur fils reprenne le droit chemin ! Il faut du temps pour s’apprivoiser.
Accompagner, c’est d’abord savoir écouter.
L’important, c’est de faire parler : "De quoi discutiez vous en chemin ?" Ils lui répondent : "Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !"
Que répond Jésus ? Là encore, c’est étonnant, car s’il est bien quelqu’un qui sait parfaitement ce qui s’est passé, n’est-ce pas Lui ? Or, il leur dit : "Quoi donc ?" comme s’il ne savait rien. Car l’important à ses yeux ne réside pas dans la connaissance de l’histoire de l’autre, mais dans la manière dont ce dernier l’appréhende.
Le récit est bien noir, lourd de désillusions, avec juste une petite brèche : "Un tombeau vide". Mais bien vite, la raison reprend le dessus : ce n’est pas possible !
Accompagner une personne en difficulté, c’est relire avec elle son histoire
Jésus s’engouffre alors dans cette brèche pour apporter un éclairage nouveau. Accompagner une personne en difficulté, c’est relire avec elle son histoire, en ouvrant une brèche : même si la pièce paraît bien noire, il existe toujours un rai de lumière sous une porte qui indique une direction à suivre.
Voici que le soir tombe. L’ambiance a bien changé dans le trio. Au long des kilomètres parcourus, une amitié s’est forgée.
Les deux disciples prennent alors l’initiative du dialogue. Ils ne sont plus enfermés dans leur souffrance, mais sont maintenant capables de s’ouvrir aux besoins de l’autre. Le voir partir seul dans la nuit les fait réagir. Aussi l’invitent-ils à rester avec eux et les voilà assis à la même table.
On n’est plus dans le registre de l’accompagnement, mais dans celui du compagnonnage : ensemble, ils partagent le pain.
Le risque de la relation d’aide, c’est d’enfermer l’autre dans la position de "l’aidé". Certes, cette posture peut être gratifiante pour l’aidant, mais chacun, lorsqu’il reçoit de l’aide, aspire à l’établissement d’une relation de vraie réciprocité. Alors Jésus peut disparaitre, et il le fait sans aucune injonction.
C’est aux deux compagnons qu’il revient de prendre la bonne décision : ils repartent sur le champ à Jérusalem, là où se joue l’avenir, et réintègrent le groupe dont ils s’étaient exclus.
Quelle magnifique leçon de pédagogie valable pour tout accompagnateur !