Du côté de Camille : vers sa fin

On sait que le chanoine Camille Costa de Beauregard a lutté toute sa vie contre la maladie, mais qu'il s'est battu jusqu'au bout!

le Mardi 15 nov 2022

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On sait que le chanoine Camille Costa de Beauregard avait lutté toute sa vie contre les séquelles des troubles pulmonaires corrélatifs à sa typhoïde. Malgré des cures thermales annuelles et un suivi médical régulier, ces troubles étaient devenus récurrents. Mais il n'était pas du genre à se démoraliser. Et sa volonté de battant lui avait toujours permis de surmonter les crises.


Et pourtant, ce samedi 12 janvier 1910, la grippe s'abat sur lui. Des remèdes à base de quinine vont atténuer sa fièvre et lui éviter l'alitement. Mais, s'il doit se confiner dans sa chambre, pas question de rester inactif! Une opportunité, pour lui, de répondre à une pile de lettres de voeux restées en souffrance en raison de ses multiples charges!


A peine a-t-il récupéré quelques forces, qu'il reprend ses activités - notamment, les leçons dominicales de catéchisme aux apprentis. Il fait ensuite 2 ou 3 marches à pied pour se dégourdir les jambes en allant rendre visite aux membres de sa famille aux Marches et à La Ravoire. Avec son neveu Ernest, il ira assister à un service funèbre pour son frère Albert, à l'église Sainte-Ombre, sous une pluie glaciale. 


Il va  même entreprendre un voyage à Paris dans un double objectif: tenter un nouveau traitement chez un médecin, et aller voir son frère Josselin et Emilie, la veuve d'Albert, qui doit lui remettre un acompte de 20.000fr sur l'héritage qui lui est dévolu. Encore une somme qui, on n'en doute pas, va être investie dans l'orphelinat!


Le 8 mars, il rentre à Chambéry, où la grippe récidive. Suivront alors des périodes d'abattement qui le clouent au lit, en alternance avec de brèves accalmies qui lui permettent de refaire surface pour des contacts ponctuels avec les apprentis et les prêtres qui le secondent.


A partir du 15 mars, il ne quittera plus sa chambre:

Le 16, il ressent une forte douleur dans la poitrine, qui va en s'intensifiant. Le 18, le médecin diagnostique une pneumonie

Camille est conscient de la gravité de son état. Alors, rassemblant tout ce qui lui reste d'énergie,  il se lève à grand peine pour aller contempler les deux vues qui s'offrent à lui des fenêtres de sa chambre et de son bureau : la statue du Sacré-Coeur qui, dans la cour d'honneur, a toujours tenu son rôle de" Patron de la maison"; les enfants qui jouent dans la cour des petits. En les voyant, il pense à toutes ces générations de garçons qu'il a aimés comme des fils, et qui l'ont aimé comme un père, pour avoir reçu de lui un toit, une famille, une éducation, un métier, une foi solide et agissante.

Au Sacré-Coeur, dont il n'a pas cessé de propager la vénération, il demande de rester indéfectiblement leur protecteur et celui de tous ceux qui seront élevés au Bocage après eux...

 

Depuis son retour de Paris, l'état du chanoine Camille Costa de Beauregard n'a cessé de se dégrader.

Le 19 mars, c'est la Saint-Joseph, Patron des apprentis. Il somnole dans son lit, brûlant de fièvre, quand un groupe d'orphelins vient lui offrir un bouquet de violettes. Les premières de ce printemps naissant ! Un modeste cadeau dicté par l'affection filiale ! Il tend la main pour porter les fleurs à son nez et esquisse un sourire, comme pour faire comprendre aux enfants que leur doux parfum lui a dégagé momentanément les bronches.


Le lendemain, c'est le dimanche des Rameaux.

Le mal a encore empiré. Il ressent même des douleurs au niveau du coeur. Les médecins diagnostiquent une congestion pulmonaire. A toutes ses souffrances physiques s'ajoute la forte déception dont il se plaint à l'un de ses adjoints, l'abbé Blanchard, venu lui rendre visite après la messe: "C'est toi qui viens de lire la Passion. Oh! le bel office! La grande semaine! Comme je regrette de ne pas y assister!"


Le 21 mars, son état est jugé désespéré. Un capucin du couvent voisin du Bocage lui apporte la dernière communion. Un profond apaisement: "Je ne croyais pas qu'il soit si doux de la recevoir!" dit-il à son neveu Ernest.
L'Extrême-Onction (sacrement des malades) est prévue pour le lendemain.


Le 22 mars, les apprentis, les soeurs et les prêtres de la maison assistent à la cérémonie.

Quand le Père Félix lui fait les onctions avec les saintes huiles, le visage de Camille est si radieux que l'assistance croit un moment à une erreur de diagnostic des médecins. Mais le capucin, convaincu du contraire, lui dit:" Et maintenant, monsieur le chanoine, c'est à vous de nous bénir!"


Camille invite alors chaque garçon à s'approcher de lui, l'appelle par son prénom- voire par son surnom - lui murmure un mot à l'oreille et l'embrasse. Puis, s'adressant à tous :" Mes chers petits, vous savez combien je vous ai aimés. S'il m'est arrivé de vous faire de la peine, c'était toujours pour votre bien. Je vous bénis". Puis, il leur fait un signe d'adieu de la main.

Il se tourne alors vers les soeurs du Bocage pour les remercier de leur dévouement indéfectible envers tous ces enfants qu'elles ont élevés avec un coeur de mères.

L'atmosphère est bien triste, tous voudraient conserver longtemps ce "Père des Orphelins", si tendrement aimé. Mais, paradoxalement, chacun ressent aussi, au fond de son coeur, une joie inexplicable-expression de la certitude d'assister aux derniers sacrements d'un saint.
Le 22 mars, son neveu Ernest lui demande pardon pour les divergences de vue qu'il a pu lui opposer. Un pardon donné sans réserve. C'est aussi la dernière visite des domestiques de la maison, qui n'ont pas oublié les sentiments profondément humains qu'il leur a toujours manifestés.


Le 23 mars est son dernier jour de lucidité.

Il reçoit la visite de Soeur Mélanie (sa soeur Alix) avec qui ils parlent de leur enfance où ils étaient si liés, de leurs fondations  mutuelles...Les abbés Blanchard et Meunier, entrés à leur tour, lui rappellent tout le bien qu'il a fait pour les orphelins du Bocage. Il leur demande d'arrêter leur concert de louanges: "C'est bien le moment de me donner de l'orgueil!" Ils lui demandent ensuite s'il les aidera, de là-haut, à poursuivre son oeuvre. "Oui, j'en aurai le temps, leur répond-il Voilà longtemps que je demandais ma retraite, mais  Ernest ne voulait pas. Mais le Bon Dieu va me la donner au Paradis".

Le 24 mars, son évêque et son vicaire général viennent à son chevet pour lui donner leur dernière bénédiction. Ils sont en admiration à la vue de  son visage tout rayonnant de joie.

Dans la nuit du 24 au 25 mars, Camille entre en agonie. En cette nuit du jeudi-Saint, le voilà en union intime avec le Christ versant des larmes de sang au Jardin des Oliviers.

Le 25 mars, au lever du soleil-heure à laquelle il célèbre habituellement la messe - il ouvre les yeux une dernière fois, avec, pour fond sonore, le chant des oiseaux qu'il aime tant, puis, s'immobilise dans la mort. C'est le vendredi-Saint, jour de tristesse
par excellence.


Mais c'est aussi la fête (reportée) de l'Annonciation, où le "oui" de Marie à l'archange Gabriel est un gage d'espérance pour l'avenir du Bocage.


Un article de Françoise Bouchard pour l'Eglise en Savoie - Avril-Mai 2020