"Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font" (Luc, 23,34).
C’est ainsi que s’exprimait Jésus, agonisant sur la croix, un moment que les chrétiens du monde entier sont appelés à commémorer après-demain. À l’heure où notre société et notre Église commencent à prendre conscience des ravages, sur le plan psychologique, chez les personnes ayant été victimes d’agressions sexuelles dans leur environnement familial, universitaire, professionnel, ecclésial ou sportif, la question de la possibilité de pardonner se pose avec acuité. Et je suis de ceux qui pensent que si notre Église a géré de manière si erratique tant de situations génératrices de tant de souffrances chez des victimes, c’est peut-être à cause d’une mauvaise compréhension de cette notion de pardon.
Pardonner ne doit jamais signifier oublier.
Comme le rappelle le pape François, "le confessionnal n’est pas un pressing : comme si on se faisait nettoyer une veste ou une robe, on le passe à la machine et le tour est joué ! Mais le péché est bien plus qu’une tâche. Le péché est une blessure qui doit être pansée, soignée".
Écoutons Tim Guénard, cet ancien enfant battu, dont la vie fut un itinéraire de pardon. "Pardonner", écrit-il, ce n’est pas effacer avec une baguette magique. "Pardonner, ce n’est pas oublier, mais c’est savoir vivre avec..."
Redisons le avec force, pardonner, ce n’est pas oublier. Il ne s’agit pas de tenter de reconstruire la relation avec l’autre en oubliant ce qu’il a fait. J’ai en mémoire tant de visages d’enfants maltraités, sur le plan physique, moral, sexuel, à qui il serait insensé de demander d’oublier et qui ont raison de demander que justice soit faite. Le pardon ne peut être synonyme d’impunité pour l’auteur, mais doit être associé à la justice et à la mémoire, parce que pardonner ne signifie pas oublier, mais, et là encore je cite le pape Francois, "renoncer à la force destructrice du mal et de la violence".
Oublier est impossible, et peut même être dangereux. Je songe à cette parole que l’on attribue à Goethe : "Celui qui oublie son passé est condamné à le répéter". Nous avons tous un devoir de mémoire. Pardonner ne doit donc jamais dispenser l’auteur de répondre de ses actes devant la justice des hommes. Il ne s’agit jamais de faire en sorte de les gommer.
Pardonner est plus difficile qu’oublier.
Alors, qu’est-ce que pardonner ? Pardonner est plus difficile qu’oublier.
C’est, en gardant en mémoire ce qui a été fait, reconstruire la relation à l’autre en lui reconnaissant un avenir, en ne l’enfermant pas dans la conduite passée.
C’est le "Va et ne pèche plus" adressé par Jésus à la femme adultère (Jn 8, 11)
Pardonner, c’est donc refuser de réduire la personne de l’autre à son seul comportement passé.
Seul un tel discours, empreint de pardon, peut permettre à la personne de reconstruire son estime de soi. Voilà pourquoi le pardon se situe au cœur de la relation éducative préconisée par Don Bosco.