« Coupé du monde », « abus », « frauduleuse paternité spirituelle », « sous emprise ». Les mots chocs du récent dossier de l’hebdomadaire La Croix Hebdo jettent la lumière sur des dérives sectaires et des violences cachées au sein d’un internat d’une communauté nouvelle. Cela peut nous ébranler, nous révolter ! Et quand les auteurs d’abus portent des noms de grandes figures chrétiennes comme celle de Dominique Savio, on ne peut qu’être outré de voir où la perversité et la confusion peuvent aller.
Notre responsabilité de parents et de responsables religieux est essentielle pour que l’Eglise redevienne une « maison sûre ». Il faut davantage qu’un discernement. Il faut le courage d’alerter ! Aujourd’hui, je rencontre encore des jeunes, en quête spirituelle dans un monde sécularisé, tenter d’aller vers des lieux d’Eglise à la maturité peu éprouvée. Les mises en garde de l’Evangile sont pourtant claires : « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vêtus en brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. C’est à leur fruit que vous les reconnaitrez. » Mt 7,15.
Pour cette chronique des Salésiens, je ne voudrais pas surréagir mais prévenir sur ce qui se révèle être la vague des révélations d’emprises spirituelles, à partir de l’héritage légué par Don Bosco. Car en canonisant Jean Bosco, l’Eglise y a reconnu à la fois l’action de Dieu et la validité du système préventif. Les responsables d’Eglise auraient grand intérêt à s’y référer.
Quelques repères pour aujourd’hui :
1. Don Bosco insistait auprès des salésiens sur la vertu de chasteté : un amour éducateur qui refuse d’accaparer l’autre, l’enfermer dans son désir ou le mettre sous son emprise. La relation est chaste quand elle veut rendre libre ! Juste proximité, juste distance. Tout l’art de l’éducateur se trouve là. Cette chasteté concerne tout le monde et pas seulement les religieux. Prudence et tempérance demeurent toujours à ses côtés rappelle encore Don Bosco.
2. Un éducateur ou un pasteur « salésien » n’est jamais seul face à ses jeunes, tel un gourou qui aurait la vérité sur tout et gère tout, aussi talentueux soit-il. Notre charisme ouvre la mission à l’ensemble d’une communauté éducative et pastorale, formée de religieux et de laïcs au sein d’une œuvre. Cette communauté éducative et pastorale accepte de se former aux sciences humaines, d’analyser ses pratiques, d’être accompagnée par un tiers pour se remette en cause. Ceci prévient tout risque de sectarisme.
3. Notre méthode préventive n’est pas un bloc. Elle forme un système qui relie des pôles différents : la raison, l’affection, la religion. Ils ne sont séparés mais chacun éclaire l’autre et se tempère mutuellement. Ce paradigme s’inspire à la fois de l’anthropologie de François de Sales et d’une pensée systémique articulant les choses entre elles, et l’oriente dans un but précis : le salut des jeunes. Ce système préventif évite tout absolutisme de la pensée pédagogique et toute gnose qui enfermerait la pensée sur elle-même.
Don Bosco en son temps avait pressenti les risques du spirituel délié de l’éducatif, en particulier pour des jeunes en quête d’idéal, parfois porteurs de souffrance avec une immaturité affective. Il se refusait à tout élitisme ou comparaison avec les autres congrégations. Son art, c’est l’équilibre en formant d’honnêtes citoyens et de bons chrétiens pour le monde. Il y a chez lui un cercle vertueux entre la raison et l’éthique chrétienne où l’un éclaire l’autre. Enfin, pour tout éducateur salésien, le fruit d’une éducation humanisante est la joie. Joie intérieure qui aide à assumer le quotidien et qui est un signe vers la sainteté.
P. Xavier de Verchère