À l’intérieur de l’enveloppe on trouve les 135 noms de donateurs ayant souhaité financer l’édification d’un petit mausolée en souvenir du prêtre chambérien (NDLR : les éléments sur la photo sont des photocopies). Photo Le DL /Tom Pham Van Suu
Le fondateur, en 1868 d’un orphelinat pour les enfants dont les parents étaient décédés du choléra, sera béatifié le 17 mai prochain par l’Église catholique à Chambéry.
Un manuscrit qui a traversé le temps. Plus d’un siècle. Écrit d’une élégante plume, le 25 mars 1911, il liste les 135 donateurs ayant souhaité ériger un monument funéraire en la mémoire du prêtre chambérien Camille Costa de Beauregard fondateur en 1868 de l’orphelinat Costa de Beauregard. Un établissement de plusieurs hectares, à proximité du centre-ville de Chambéry, où l’homme d’Église recueillit plusieurs centaines d’enfants, sans parents, sans ressources, après une épidémie de choléra ayant causé 134 morts dans la Cité des ducs en août 1867.
“Besson”, “Desbiolles”, “Tardy”, “Dauphiné”, “Martinod”, cinq noms piochés parmi les 135 qui ont sans aucun doute voulu remercier leur bienfaiteur. Avec l’avènement de l’industrie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’époque pouvait être particulièrement rude pour les enfants pauvres, à l’image des “petits ramoneurs savoyards” bringuebalés partout en France de cheminée en cheminée pour une paye de misère. La lettre, retrouvée il y a quelques semaines, est un témoignage séculaire de gratitude de paroissiens et de ceux qui ont pu bénéficier d’une bonne éducation. « En faisant un peu de recherches, on devrait pouvoir retrouver des descendants de ces donateurs, des familles qui ont habité ou qui vivent toujours à Chambéry », estime le père Patrick Gaso qui travaille à la fondation du Bocage.
Une découverte qui marque une année 2025 bien particulière pour Camille Costa de Beauregard, le 17 mai prochain, il sera élevé au rang de “bienheureux” lors d’une messe de béatification. Cette cérémonie exceptionnelle se déroulera dans la cathédrale de Chambéry, une première pour un Savoyard. Il sera cette année le seul Français à être distingué de la sorte parmi les douze béatifications accordées par le Vatican sur l’ensemble du globe.
Une lettre dissimulée derrière une plaque en marbre
« C’est en démontant une plaque en marbre particulièrement fragile que les ouvriers ont trouvé cette minuscule enveloppe. C’est très touchant de voir ce que j’appelle une capsule temporelle de noms. C’est de l’histoire à portée de main, de ceux qui étaient là bien avant nous et ont donné de leur temps et de leur argent », raconte ému le père Patrick Gaso prêtre de la paroisse Saint-François-de-Sales, à Chambéry. Enterré d’abord au “cimetière du Paradis”, à proximité de l’actuelle gare de Chambéry Challes-les-Eaux, le corps de Camille Costa de Beauregard est transféré dans sa fondation du Bocage dès 1911, un an après son décès à 69 ans, par d’anciens pensionnaires qui lui élèvent le fameux mausolée pour lequel ils se sont, pour partie, cotisés.
Aujourd’hui, le corps de Camille Costa de Beauregard réside dans une pièce contiguë à la chapelle de la fondation du Bocage où l’on a retrouvé la fameuse lettre. Cette dernière a été scannée puis remise derrière la plaque en marbre consolidée. « On a mis cette lettre dans une pochette étanche destinée à ceux qui dans 50 ans, 100 ans, redécouvriront cette enveloppe. On se fait passeur de cette capsule temporelle », confie le père Gaso sous le plafond bleu de la chapelle du Bocage, parsemé de 953 étoiles, autre découverte majeure de la restauration de ce lieu de culte sous une couche de peinture orange rose. Ces dernières ont été restaurées pour revenir à l’architecture d’origine du lieu.
Un fils de notable qui s’engage pour les plus pauvres
Mais alors pourquoi une telle distinction pour un homme d’Église ? Sans doute parce que la trajectoire de ce jeune homme de bonne famille, né en 1841 à Chambéry, a profondément marqué sa ville de naissance et la Savoie. Camille Costa de Beauregard, comme son nom l’indique, est un fils de marquis. Son père, Pantaléon Costa de Beauregard, était un haut parlementaire de Turin du royaume de Piémont Sardaigne, homme de lettres, président de l’Académie de Savoie et chrétien fervent. Ordonné prêtre à la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome, après des études de philosophie, il refuse les hautes fonctions qu’on lui propose pour revenir à Chambéry en juin 1867 sept ans après le rattachement de la Savoie à la France pour lequel sa famille a milité.
Son action éducative, résolument positive, a fortement marqué ses pensionnaires. « En contraste avec la rudesse ou la rigidité qui prévalaient alors. Il cherchait la solution dans la raison, sans punition stupide, avec beaucoup de loisirs pour ouvrir l’esprit, développer la personnalité », expliquait Françoise Bouchard spécialiste de l’histoire de l’orphelinat du Bocage.
« Rien par force, tout par amour », est l’une des citations attribuée au prêtre chambérien. Son décès a marqué la ville de Chambéry par des funérailles décrites comme un « cortège de triomphe » pour un « prêtre vénéré », selon un article d’époque du journal La Croix. Pendant 5 jours des Chambériens sont venus lui rendre hommage selon des archives d’époque.
Et puis il y a eu selon l’Église, quelques mois après sa mort, un miracle reconnu comme tel par le Vatican en 2024. Un événement rare, l’Église catholique ne reconnaît officiellement qu’un peu plus de 70 miracles dans le monde. D’où l’exceptionnelle cérémonie dans deux mois, le 17 mai, où l’on attend de nombreuses personnalités et 4 000 à 10 000 personnes.
Une guérison reconnue comme un miracle par le Vatican
Pour permettre au prêtre chambérien d’accéder au statut de “bienheureux”, à l’issue de la messe de béatification, il faut remplir plusieurs conditions. Des fidèles doivent le demander à leur évêque. Ce dernier peut ouvrir une enquête diocésaine. Ce sera ensuite à la congrégation romaine pour les causes des Saints d’étudier le cas du fidèle, à l’issue d’une revue critique et biographique de l’héroïcité des vertus. Soit, selon l’Église, “la perfection de l’amour humain et chrétien, et son déploiement dans toute la vie”.
« Dès 1925, quinze ans après sa mort, le “procès canonique” de Camille Costa de Beauregard a débuté », rappelle le père Gaso. « Son neveu a rédigé sa biographie pour soutenir cette reconnaissance. On lui attribue à ce moment le premier échelon, celui de “serviteur” », ajoute-t-il. Il faudra cependant attendre plus de 60 ans pour que le pape Jean-Paul II, en 1991, accorde le deuxième titre celui de “vénérable” à Camille Costa de Beauregard.
Un œil d’un pensionnaire sauvé
On peut alors le vénérer, mais ce n’est pas suffisant pour avoir la béatification il faut quelque chose d’essentiel : un miracle. C’est un jeune enfant de 10 ans, René Jacquemoud, qui a vu son œil guérir miraculeusement à la fondation du Bocage. Ce dernier jouait avec des bardanes, ces fleurs violacées pourvues d’épines bien connues des promeneurs pour leur faculté à s’accrocher dans leurs vêtements ou les poils de leurs chiens. Sauf qu’à force de se lancer des bardanes à la figure avec ses camarades, le jeune René Jacquemoud en reçoit une dans l’œil dont les épines s’enfoncent dans sa cornée, provoquant une infection. « Le médecin vient régulièrement mais ne peut rien faire, l’œil est condamné », assure le père Gaso. Selon le récit d’époque c’est grâce à l’apposition d’un mouchoir de Camille Costa de Beauregard, décédé depuis quelque mois seulement, sur l’œil du malheureux que le miracle survient. Le lendemain matin l’œil est guéri, le médecin ophtalmologue fait un rapport circonstancié sur l’événement. « Pour qu’un miracle soit reconnu il y a des critères très précis. Il doit être instantané, durable, sans médication, inexplicable », précise la fondation du Bocage. C’est cet événement, validé comme tel, qui permet la béatification. Le dernier stade, celui de la canonisation, la reconnaissance par le Saint-Siège comme saint ou sainte, nécessite un deuxième miracle validé par le Vatican.
Trois jours de célébration autour de la béatification
Les trois jours du vendredi 16 mai au dimanche 18 mai autour de la béatification de Camille Costa de Beauregard seront rythmés par trois temps. Le vendredi 16 en soirée aura lieu une procession depuis la chapelle de la fondation du Bocage – où a été découverte l’enveloppe – jusqu’à l’église Notre-Dame à Chambéry.
Retransmission sur grand écran
Les fidèles transporteront une partie des reliques jusqu’à la rue Saint-Antoine suivie d’un temps de prière. C’est dans cette église que Camille Costa de Beauregard a été baptisé. Le samedi 17 mai à 15 heures ce sera le grand moment de la messe de béatification, en la cathédrale Saint-François-de-Sales de Chambéry. On annonce la présence du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, de très nombreux évêques de France et d’Italie et des membres de la famille Costa de Beauregard qui sont aux alentours de 250. Autant dire que les 1 000 places de la cathédrale de Chambéry risquent d’être vite remplies avec un protocole de sécurité strict. Le parvis peut accueillir 300 personnes. L’événement pourra aussi se vivre plus simplement à la fondation du Bocage, sur grand écran, en lien direct avec la cathédrale. La messe de béatification sera retransmise en direct sur la radio RCF Savoie (Radio chrétienne francophone) ainsi que sur la chaîne catholique KTO TV.
Pour terminer, le dimanche 18 mai à 10 heures, une messe d’action de grâce se tiendra à la fondation du Bocage suivie d’un après-midi festif. Les fidèles pourront se rendre dans la chapelle privée de la fondation du Bocage et prier devant le cercueil de Camille Costa de Beauregard lors de visites guidées le vendredi et le dimanche à 16 heures.
Extrait du Dauphiné Libéré du 10/03/2025 - par Vincent Kranen et photo Tom Pham Van Suu.