« Il a passé en faisant le bien ». C’est le mot qui, dans sa sobre éloquence, montait spontanément à toutes les lèvres, lorsqu’en Savoie on apprenait la mort rapide de Monsieur le chanoine Costa de Beauregard, fondateur de l’orphelinat du Bocage. Voilà comment s’exprimait La Croix de Savoie au lendemain du décès de Camille Costa. La presse locale et nationale s’en est fait l’écho : le « Nouvelliste de Lyon », la « Semaine Religieuse », la « Croix de Paris », « l’Etoile du matin », la « Savoie libérale » et même « Le syndicat des agriculteurs ».
Nous reproduisons ici l’article du « Nouvelliste de Lyon », à propos des funérailles du « Père des orphelins », qui traduit bien l’émotion et la ferveur populaire qui se sont manifestées lors de cet événement.
« Les funérailles de Monsieur le Chanoine Costa de Beauregard, Supérieur et fondateur de l’Orphelinat du Bocage, ont été l’occasion d’une touchante et grandiose manifestation de regrets et de sympathie d’une population toute entière. C’était un deuil public, et, de l’avis des plus âgés, on n’avait jamais vu à Chambéry d’aussi belles et émouvantes funérailles. C’est que Monsieur le Chanoine Costa était une de ces figures si nobles et si hautes que toutes les divisions s’effaçaient devant elle et faisaient place à l’unanime respect. Monsieur Costa était surtout l’ami des pauvres et il n’est pas de demeure, la plus humble soit-elle, où l’on n’ait pleuré aujourd’hui la disparition de celui qui laisse un si grand vide dans notre cité.
Sur le passage de l’imposant cortège qui accompagna le regretté défunt et que l’on peut évaluer à personnes, tous les magasins étaient fermés et c’est dans le corbillard des pauvres, selon la volonté de Monsieur le Chanoine, qu’il fut conduit à l’église métropolitaine et, ensuite, au cimetière, dans le tombeau de famille. Nous avons remarqué, dans le cortège, les écoles libres, toutes les confréries, la Providence, l’Orphelinat des Marches et celui du Bocage, les chefs de toutes les administrations, les autorité civiles et militaires, le Cercle Choral, la Société de Saint François de Sales, 200 prêtres environ, venus de tous les coins de la Savoie et toute la population, sans distinction de partis, parmi laquelle le maire, l’adjoint et une délégation du conseil municipal de notre ville, le général de Brigade, les colonels et la plupart des officiers de la garnison.
Le deuil était conduit par Monsieur le marquis Josselin Costa de Beauregard et son fils, l’abbé Ernest, qui va continuer l’oeuvre admirable de son oncle, et par les autres parents représentant les familles Costa de Beauregard, d’Oncieu de la Bathie, Greyffié de Bellecombe, Trédicini de Saint-Séverin. Les cordons du poële étaient tenus par des amis personnels de Monsieur le Chanoine Costa : messieurs Domenget, Lachenal, comte Eugène de Boigne, Gros, Porraz et Curtet. A la Métropole, qui se trouva trop petite pour contenir la foule, une messe fut chantée par le doyen du chapitre. Au cours de cette cérémonie, les prêtres, dans le choeur, chantèrent les prières liturgiques et la maîtrise, à l’orgue, interpréta le « Pie Jesu » de Chassang et un fragment de « Mors et vita » de Gounod.
Monseigneur Dubillard monta en chaire et, en termes éloquents et émus, fit l’éloge du regretté défunt. Il loua les admirables vertus, l’humilité et les bienfaits de Monsieur Costa. L’absoute fut donnée par Monseigneur l’archevêque. Après la cérémonie, Monsieur le Curé de la Cathédrale a voulu conduire le corps au cimetière ».
Laissons à Monsieur E. Denarié la conclusion de cet événement :
« Tous ceux qui l’ont vu, ne fut-ce qu’une fois, se rappelleront cette admirable figure. Pour moi, ce sera une de mes meilleures joies d’avoir été de ses amis ; il ne les comptait plus et son coeur était assez grand pour les bien loger tous. Son accueil était tel que les gens qui sortaient de sa pauvre chambre de l’orphelinat, ceux même qui, peut-être, l’avaient le plus importuné, s’en revenaient convaincus qu’il lui avaient fait le plus grand des plaisirs. Que d’efforts doit-on faire pour en arriver là ! Mais surtout par quel prodige d’abnégation cet homme a-t-il pu incliner vers les plus humbles choses une intelligence accessible à toutes les émotions de l’art, ouverte à toutes les connaissances humaines ? Dieu seul connaît de lui ce que nous ne pouvons qu’entrevoir. Sans doute l’a-t-il déjà récompensé ? Je ne sais, mais ce fut l’impression de tous : le char aux noires tentures, qui emportait cet homme pleuré, n’avait rien de funèbre ; nous sentions planer, au-dessus de nous, quelque chose de plus grand que la mort ; et, lorsque, au moment de l’absoute, la maîtrise entonna l’Ecce judex, dans la foule qui remplissait notre vieille cathédrale comme aux jours de fêtes, il y eut comme une intuition secrète qu’il n’était plus nécessaire de prier pour lui ».
L'avenir du Bocage, il est assuré, entre les mains de son neveu Ernest et des quatre prêtres qui vont le seconder. Son avenir à lui, personne n'en doute: il a déjà commencé au Paradis. Car, aux yeux de tous, c'est un saint - le saint Vincent-de-Paul de la Savoie - qui vient de s'éteindre, comme en attestent une série de signes qui n'ont échappé à personne:
- Après la toilette mortuaire -souligne Ernest - il semblait tellement rajeuni qu'il paraissait un jeune prêtre montant à l'autel pour sa première messe. Quatre témoins ont également constaté cet étrange rajeunissement.
- Les orphelins, jeunes et apprentis, ne sont pas impressionnés de le voir sur son lit funèbre. Bien au contraire: tous s'approchent de lui en souriant, la tête appuyée sur les couvertures et les draps du lit, caressant ses mains jointes enserrant son chapelet.
- Le samedi saint, des phénomènes inexplicables vont être relatés par Ernest. La mise en bière a dû être avancée, en raison d'incidents survenus en raison de la chaleur de la pièce. Les employés des pompes funèbres ont utilisé des désinfectants aux odeurs fétides qui, mêlées à celle du plomb fondu, sont irrespirables. Et pourtant, sitôt le corps déposé dans le cercueil, tous les assistants à la scène perçoivent de merveilleux parfums : certains évoquent l'encens, d'autres, l'ambre, ou le papier d'Arménie, ou encore, des mélanges de fleurs... Or, la soeur garde-malade n'a rien brûlé, et n'a mis aucune fleur dans la chambre. Des parfums variés seront signalés en divers lieux et à diverses époques, et retenus par le postulateur romain chargé de la "Cause".
- Tous ceux qui défilent pendant 5 jours, devant le cercueil, n'arrivent pas à terminer leurs prières à son intention. Car ils se sentent poussés instinctivement à "le" prier pour demander des grâces par son intercession, Oui, tous en sont certains : Le père des orphelins sera un jour canonisé par l'Eglise!...
Article de P. Paul Ripaud pour l'Eglise en Savoie.